edmond & yvonne – extrait

Edmond chéri, je suis bien contente de te savoir revenu pour une quinzaine ; peut-être te sera-t-il plus facile de là d’avoir les 3 jours de permission pour la naissance. Les lettres ont dû continuer à courir après toi ? En as-tu tout de même reçu quelques-unes ? Mon accouchement s’est fait aussi rapidement que possible, quelle différence avec la première fois, le bébé est superbe et fort bien portant mais…, c’est encore une fille, j’en suis désolée pour toi et j’espère que tu ne m’en voudras pas, ni à elle, car nous n’y pouvons rien. J’aspire au moment de te revoir mon chéri et de pouvoir t’embrasser, entendre de nouveau ta voix. Je voudrais aussi comme ton Colonel te faire des félicitations et pour ton travail là-bas et pour ton travail ici car « nos filles » sont vraiment bien réussies ! Je suis de plus en plus enchantée de ma nouvelle domestique et j’espère qu’elle restera longtemps à la maison. A l’arrière aussi on a l’impression que tout le monde s’est ressaisi depuis les derniers évènements, et il le faut absolument car la victoire sera dure à remporter avec cette guerre totale ; d’après ce que disent les journaux les soldats combattent splendidement. Si tu vas rue Carlier tu pourrais bien laisser ta cantine dans l’appartement puisque la concierge en a la clé ; ce serait peut-être plus simple pour toi, mon petit chéri, je t’embrasse un million de fois amoureusement, ta Vonnette. P.-S. : je suis à la clinique jusque vers la fin de la semaine prochaine. Ma chérie jamais je ne suis parti d’ici dans un tel état de désolation et de remords. Pardon, mon trésor, de n’avoir pas mieux su dominer mes nerfs. La semaine dernière a été épouvantable avec le vent d’autan et une chaleur torride. Le déménagement qui n’arrivait jamais, enfin son arrivée le dimanche matin alors que je comptais tant me reposer. Pour comble de malheur, les gaffes du vitrier. Cela a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Pardon encore mon trésor, mais j’ai tant souffert de te voir dans cet état que j’ai le ferme propos de ne plus me mettre en colère… quand tu serais là. Si jamais tu me revois sur le point de déborder il faudrait que tu me rappelles à l’ordre d’un seul mot « le vitrier » par exemple me semble tout indiqué. Aide-moi dans cette bonne résolution, et de mon côté je prendrai un peu moins de café. Si c’est éreintant de vivre tout le temps avec les enfants, c’est très dur aussi de vivre tout seul. J’ai demandé mon congé à partir du 7 septembre et j’ai pris toutes dispositions auprès du bureau central. Je t’envoie les plans que j’ai sous la main. Je peux aider un peu le maçon. Il fait aujourd’hui une chaleur torride. Jamais il n’a fait aussi chaud de tout l’été. J’espère que tu es tout à fait remise, et je t’adresse avec mes excuses les plus vives mes baisers les plus tendres. Edmond. Cher ami, je crois que je ne viendrai pas jeudi, cela coûte trop cher ; je n’ai même pas d’argent pour faire venir le docteur si quelqu’un est malade et acheter les choses nécessaires à notre existence. Il n’y a pas moyen de t’en faire trouver (sauf pour acheter des culottes de chasse). Ici, un affreux pays que je déteste de plus en plus ; il était supportable quand on pouvait y faire des économies et rétablir cet impossible budget mais maintenant il n’a même plus cet unique avantage. Les enfants y sont insupportables, je ne sais où les promener ailleurs que dans la poussière, il n’y a rien d’intéressant et je pense que nous serons bientôt tout-à-fait sans eau ; il n’y aura plus qu’à s’en aller ; j’espère que ce ne sera avant le prochain mandat pour pouvoir payer les fournisseurs et le voyage. Mille baisers, c’est la seule chose que tu connaisses bien cher Edmond. Quelle joie – au milieu de tant de peines – de recevoir des nouvelles de toi, enfin ! Je suis fière de savoir que tu as été un bon soldat et que ton moral est resté haut malgré tout et je suis si heureuse de savoir que tu es sain et sauf au sortir de cette mêlée qui doit être effroyable… ici nous avons été privilégiés, malgré des pronostics pessimistes, et je pense que c’est une des seules grandes villes de France qui n’aie pas été bombardée. Mon chéri, je ne tiens plus en place à la pensée de te revoir bientôt. Tu n’as donc pas reçu les lettres où je te parlais de la naissance de Paule : elle s’est passée beaucoup plus facilement et beaucoup plus rapidement que celle de Marion, je commence à avoir un bon entrainement ; la petite est superbe, très sage et elle a les yeux bleus. Quant au prénom je suis assez inquiète de savoir ce que tu en penseras ? Il me plaisait beaucoup et je ne savais plus lequel nous avions choisi, aucun je crois, car tu ne voulais prévoir que le garçon… ce pauvre Louis est vraiment difficile à décrocher ; la troisième fois sera peut-être la bonne ? De Constantin absolument aucune nouvelle depuis un mois, il devrait être dans cette armée d’Alsace-Lorraine qui a combattu jusqu’au bout. Marion est une mignonne petite fille, elle paraît énorme comparée à sa petite sœur ; elle fait enfin des progrès dans la science du langage parlé. Je t’embrasse tendrement Edmond chéri. Ta Vonnette.